Enfance > Actualités Marie-Laure Cadart : "Le remplissage au lieu de la qualité" [humanite.fr]Marie-Laure Cadart est médecin et anthropologue, spécialiste de la petite enfance. L’enjeu de l’accueil de la petite enfance est-il évalué à sa juste valeur dans notre pays ? Marie-Laure Cadart. « Tout dépend des politiques. Les besoins de l’enfant sont-ils suffisamment pris en compte ? Marie-Laure Cadart.« Énormément de progrès ont été faits durant ces dernières années. La France est très bien placée en matière d’accueil de la petite enfance. Un rapport de l’Unicef a classé les 28 pays de l’OCDE, et la France se classe en troisième position, derrière la Suède et l’Islande. Quand nous appliquons la somme de nos connaissances aux crèches, au développement de l’enfant, à l’attention porté à son développement psychologique, moteur ou somatique avec des personnels qualifiés et des équipes pluridisciplinaires, avec des psychologues, nous obtenons de l’accueil de qualité. » Quel regard portez-vous sur le décret Morano à venir ? Marie-Laure Cadart. « Ce décret grignote doucement les acquis en matière de qualification des personnels. Auparavant, les crèches étaient maltraitantes et faisaient de la garde sans se soucier de l’enfant. Les premiers textes qui ont modifié l’accueil datent de 1975. Mais c’est le décret d’août 2000 qui a vraiment assis les bases d’une qualité de l’accueil respectueuse de l’enfant, des parents et des professionnels. Il y a eu des prémices, comme le rapport « Un enfant dans la vie », établi en 1982. La gauche au pouvoir a replacé l’enfance au cœur de la cité, en prenant en compte à la fois ses besoins, ceux des familles, en partant du principe que la famille était le premier lieu de socialisation. Quand on met de l’argent et des compétences, nous arrivons à faire des choses très belles. Mais aujourd’hui on nous parle de taux de remplissage. C’est inévitablement au détriment de la qualité. L’enfant disparaît derrière la gestion. Or, la gestion doit être à son service. On nous dit : « On n’a pas le choix », ce n’est pas vrai. De nombreuses structures résistent, avec un accueil de qualité, sans que cela coûte plus cher à la collectivité. » Peut-il y avoir un impact sur le développement des enfants ? Marie-Laure Cadart. « Tout à fait, mais cet impact n’est pas immédiat. À partir du moment où vous diminuez le taux d’encadrement, vous faites travailler les professionnels dans de mauvaises conditions. Mais les conséquences sont très insidieuses, il n’y a pas de rapports de cause à effet. Par exemple, à Aix-en-Provence, dans toutes les crèches en délégation de service public qui ont été reprises par des entreprises privées, apparaissent des signes de souffrance. Un professionnel dira : « Tiens, ça fait longtemps que je n’avais pas entendu pleurer autant. » Ce sont de petites choses mais qui témoignent d’une dégradation. Cependant, je ne peux pas vous affirmer d’emblée que, demain, les enfants iront plus mal, mais nul doute que ceux qui iront le plus mal seront les enfants qui ont des familles en difficultés. » Quelles sont les conditions à réunir pour que l’enfant s’épanouisse à la crèche ? Marie-Laure Cadart. « Il faut une cohérence entre la maison et la crèche. Il faut des professionnels qui connaissent l’enfant et sa famille, accorder une période pour faire connaissance, où on s’apprivoise, où l’on s’adapte. Mais, surtout, il faut prendre l’enfant dans sa singularité, en fonction de son caractère, de son contexte de vie, et en fonction de ses besoins. Ajoutons à cela, un soutien aux professionnels dans un travail difficile, et ça marche pas mal. » Entretien réalisé par Laurent Decottignies publié sur humanite.fr |